
Catherine Riva de Re-Check publie avec le Dr Jean-Pierre Spinosa un article qui analyse des documents inédits de la Food and Drug Administration (US FDA, agence de régulation américaine). Cette recherche originale, parue le 2 décembre 2020 dans la revue open access Journal of Scientific Practice and Integrity, met en évidence la cascade de décisions problématiques qui a conduit à l’homologation de Gardasil®, le vaccin anti-HPV quadrivalent de Merck. Elle s’inscrit dans un effort d’enquête de longue haleine sur la vaccination HPV entamée en 2008. L’article montre notamment que, sous la pression d’une procédure accélérée non justifiée, les autorités de régulation américaines n’ont pas respecté les directives méthodologiques qui sont censées encadrer les procédures d’autorisation de mise sur le marché des médicaments et des vaccins (guidelines ICH). Conséquence de leurs décisions: près de 15 ans après les faits, il est toujours impossible de connaître le véritable rapport bénéfice-risque de la vaccination anti-HPV. Et dans les pays industrialisés, l’homologation de Gardasil a généré une constellation de «sur-prévention» qui permet à Merck d’échapper au fardeau de la preuve et d’engranger des bénéfices extraordinaires, tandis que les autorités de santé assurent la promotion de ses produits et laissent la collectivité supporter les coûts des campagnes de vaccination et les risques sanitaires éventuels.
Fin 2020, la vaccination anti-HPV s’est retrouvée une fois encore au cœur de l’actualité: d’une part avec la publication de la stratégie de l’OMS qui vise l’élimination cancer du col d’ici 2050 et prévoit de s’appuyer surtout sur la vaccination pour atteindre son but; de l’autre avec la parution des résultats d’une étude menée en Suède à partir de registres de santé. Les auteurs de cette publication concluent que, dans ce pays, chez les filles et les jeunes femmes âgées entre 10 et 30 ans, la vaccination est associée avec un réduction substantielle du risque de développer un cancer du col.
De là à conclure que la vaccination anti-HPV est en train de gagner son pari, il n’y a qu’un pas que nombre de commentateurs enthousiastes n’ont pas hésité à franchir.
Mais les choses sont beaucoup moins claires que ces annonces ne le laissent entendre.
Car aussi bien la publication suédoise que les travaux sur lesquels s’appuie l’OMS sont ce qu’on appelle des études observationnelles, dont les résultats devraient être appréciés avec la plus grande prudence. D’abord parce que des études observationnelles ne permettent pas de conclure à l’existence d’un rapport de cause à effet. En médecine fondée sur les preuves (EBM), les résultats de ces travaux ne sont pas considérés comme des preuves, car ces études sont sujettes à de nombreux biais et leur design ne permet pas de maîtriser ce qu’on appelle les facteurs confondants. Pour de plus amples développements sur ces questions, les lecteurs intéressés peuvent se reporter au Chapitre 2 du Guide GIJN Investigating Health & Medicine récemment publié par Catherine Riva et Serena Tinari de Re-Check.
Or dans le cas de la prévention du cancer du col par la vaccination anti-HPV, ces facteurs confondants sont nombreux. Il s’agit de tous les paramètres qui peuvent aussi influencer l’incidence des lésions précancéreuses et du cancer du col: le statut socio-économique, le tabagisme, la précocité des rapports sexuels, le nombre de partenaires, l’utilisation de la contraception orale, la composition du microbiote vaginal, et surtout la participation ou non au dépistage (frottis avec test de Pap), mais aussi les modalités de ce dépistage. Même s’il est possible d’opérer certains ajustements lorsqu’on analyse des données observationnelles, les inconnues restent souvent trop nombreuses pour pouvoir affirmer avec certitude que l’effet observé est dû à la vaccination.
Enfin, bon nombre d’auteurs de ces études observationnelles sur l’effet de la vaccination anti-HPV ont déclaré des conflits d’intérêts avec les sociétés pharmaceutiques qui commercialisent les vaccins. Or les conflits d’intérêts peuvent aussi être une importante source de biais (cette question est abondamment traitée au Chapitre 3 du guide susmentionné).
Le seul effet bien établi de la vaccination anti-HPV est qu’elle permet de prévenir l’apparition de lésions précancéreuses associées aux HPV à haut risque 16 et 18 (dans le cas de Gardasil® et de Cervarix®), ainsi que les lésions cervicales de haut grade associées aux HPV à haut risque 31, 33, 45, 52 et 58 (dans le cas de Gardasil9®). Cet effet peut être attribué à la vaccination, car il a été mis en évidence dans le cas d’essais randomisés contrôlés, un type d’étude qui, lui, permet de conclure à un rapport de cause à effet.
Mais on ne dispose pas d’essais randomisés contrôlés qui auraient examiné l’effet de la vaccination sur l’incidence globale des lésions précancéreuses et des cancers du col, quel que soit le HPV impliqué. Or cet aspect est essentiel, car d’autres HPV à haut risque que ceux ciblés par les vaccins peuvent être à l’origine de cancers du col. Et rien ne permet de dire que ces autres souches ne viendront pas prendre la place des souches tenues en respect par la vaccination – un scénario appelé remplacement viral. Autrement dit, le seul moyen d’être sûr que le remplacement viral ne se produit pas, c’est de s’assurer dans le cadre d’essais randomisés contrôlés que la vaccination réduit l’incidence global des lésions précancéreuses, peu importe le HPV impliqué. Seul un tel résultat permettrait d’affirmer avec un haut degré de certitude que la vaccination anti-HPV a de bonnes chances de réduire l’incidence du cancer du col.
Malheureusement, à ce jour, aucun essai randomisé contrôlé n’a été conduit pour évaluer cet effet. Au regard de l’importance de cette question d’un point de vue de santé publique, on est en droit de s’interroger: comment se fait-il que nous n’ayons pas mieux que des études observationnelles pour nous faire une idée de l’effet à attendre de la vaccination anti-HPV?
Cette situation insatisfaisante a amené Catherine Riva de Re-Check et Jean-Pierre Spinosa à retracer l’histoire de l’autorisation de mise sur le marché de Gardasil®, le vaccin anti-HPV quadrivalent de Merck. Celle-ci est intéressante à plus d’un titre, car Gardasil® est le premier vaccin de l’histoire à avoir été homologué par la FDA dans le cadre d’une procédure accélérée. Leur recherche s’inscrit dans un effort d’enquête de longue haleine, qui a donné lieu depuis 2008 à la publication d’articles dans des médias généralistes (par Catherine Riva), de rapid responses dans des revues biomédicales (par Catherine Riva, Jean-Pierre Spinosa et Jérôme Biollaz), d’un ouvrage (La piqûre de trop?, par Riva et Spinosa), à la réalisation de documentaires (par Serena Tinari), à la présentation d’un poster (par Riva et Tinari), et à la parution d’une lettre à l’éditeur de la revue BMJ-Evidence-Based Medicine (par Riva, Tinari et Spinosa). Pour les détails, les lecteurs intéressés peuvent se reporter à la page dédiée sur le site de Re-Check.
Dans leur nouvel article paru en décembre 2020 dans le Journal of Scientific Practice and Integrity, Catherine Riva et Jean-Pierre Spinosa ont cherché à comprendre comment les critères d’évaluation avaient été sélectionnés durant la procédure d’homologation et l’impact que les choix des experts de la FDA ont eu sur la qualité des preuves dont on dispose aujourd’hui concernant l’efficacité de ce vaccin dans la prévention des lésions précancéreuses. Sur la base de documents inédits obtenus auprès de la FDA, ils ont vérifié si les choix méthodologiques de ces experts étaient conformes aux guidelines ICH, qui fixent les balises méthodologiques que les procédures d’autorisation de mise sur le marché doivent respecter.
Leur analyse montre que dès 2001, les experts de la FDA ont opéré des choix méthodologiques problématiques (endpoints, critères d’analyses primaires et exploratoires, etc.), non conformes à bien des égards aux guidelines ICH. Et ces choix ont entraîné une cascade de mauvaises décisions qui ne pouvaient que déboucher sur des résultats non conclusifs. Ces décisions ont été lourdes de conséquences, puisqu’elles ont définitivement privé la communauté médicale, les autorités de santé et le public de la possibilité de se faire une idée aussi objective que possible de l’efficacité de Gardasil® dans la prévention des lésions précancéreuses du col.
L’article détaille aussi des analyses non publiées, dont les résultats suggèrent que la vaccination n’entraînera probablement pas la réduction attendue de l’incidence des lésions précancéreuses, ni a fortiori celle de l’incidence du cancer du col. Or comme tout produit biologique, Gardasil® a des effets indésirables et expose donc aussi la population vaccinée à des risques. Il n’est donc pas exclu que son rapport bénéfice/risque soit défavorable.
En plus de mettre sur le marché un produit au rapport bénéfice/risque incertain, l’homologation de Gardasil® a ouvert la voie à la commercialisation des autres vaccins anti-HPV et a créé une situation inédite dans les pays industrialisés où, avant l’introduction de la vaccination, le cancer du col était déjà prévenu par le frottis cervical avec test de Pap. Ce dépistage doit être maintenu, car la vaccination ne cible pas tous les HPV à haut risque. Dans cette perspective, la commercialisation de Gardasil® a inauguré une nouvelle forme de surmédicalisation dans le domaine de la prévention: l’introduction d’une prévention primaire partielle de faible valeur (la vaccination), qui nécessite le maintien d’une prévention secondaire (le dépistage) et dont l’efficacité ne pourra par conséquent jamais être complètement évaluée. Cette constellation inextricable de «sur-prévention» permet à Merck d’échapper au fardeau de la preuve et d’engranger des bénéfices extraordinaires. Alors que les autorités de santé assurent la promotion de son produit et laissent la collectivité supporter les coûts des campagnes de vaccination et les risques sanitaires.
Les auteurs concluent: «Compte tenu des nombreuses lacunes de la procédure d’homologation de Gardasil®, une réévaluation indépendante non financée par l’industrie des rapports d’études cliniques (y compris des données individuelles anonymisées des patients) semble nécessaire de toute urgence pour tous les vaccins anti-HPV disponibles.»
Plus largement, les problèmes générés par l’homologation accélérée de Gardasil® devraient servir d’avertissement: ils rappellent que les bonnes pratiques méthodologiques ne sont pas dispensables et que les autorités de régulation devraient s’engager à ne pas déroger à ces principes, car tout raccourci aura des conséquences. Une fois que certaines décisions ont été prises, il n’est plus possible de revenir en arrière. Ces enseignements devraient être pris en compte de toute urgence dans le contexte actuel d’homologation hyper-accélérée des vaccins COVID-19.
Riva C. and Spinosa JP. 2020. Journal of Scientific Practice and Integrity. 2(1). DOI: 10.35122/001c.18180 https://www.jospi.org/article/18180-has-the-hpv-vaccine-approval-ushered-in-an-era-of-over-prevention
«Has the HPV vaccine approval ushered in an era of over-prevention?» a été publié en ligne le 2 décembre 2020 dans la revue en open access Journal of Scientific Practice and Integrity au terme d’un processus de revue par les pairs (peer review). Il peut être téléchargé gratuitement ici au format PDF.