Démocratie en mode pandémique: l’étrange cas du certificat COVID



Analyse et commentaire
Catherine Riva, Serena Tinari – Re-Check.ch
11 juin 2021

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L’introduction des certificats COVID en Suisse représente-t-elle juste une étape inévitable pour un retour à une vie normale? Ou s’agit-il plutôt d’une préoccupante expérimentation sociale impliquant des données sensibles, qui entraînera la stigmatisation et l’exclusion de celles et ceux qui refusent les conditions nécessaires à l’obtention de ce «sésame»? La votation sur la loi COVID-19 du 13 juin 2021 aurait dû être l’occasion d’un débat de fond sur ces questions. Mais ce dernier n’a pas eu lieu et les citoyens ne disposent pas de certaines informations essentielles pour pouvoir se prononcer de manière éclairée.

En Suisse, un «certificat COVID» doit être introduit fin juin 2021. La base légale qui prévoit son déploiement (loi COVID-19) a fait l’objet d’un référendum. Les Suisses voteront donc le 13 juin 2021 pour décider s’ils acceptent cette loi qui prévoit, entre autres, l’introduction du certificat COVID. Nous avons creusé les informations disponibles et posé de nombreuses questions aux institutions concernées.

Une grande confusion entoure le certificat COVID suisse, ses caractéristiques et les détails de son implémentation. En cause: un manque de transparence, des maladresses et des collisions de calendrier qui empêchent les citoyens suisses d’accéder à une information complète sur ce dispositif. De fait, les conditions dans lesquelles se déroulera la votation imminente seront forcément assorties de limites. Notre texte propose un tour d’horizon détaillé des enjeux et des problèmes liés à l’introduction précipitée d’un dispositif inédit qui présente des risques de taille, tant sur le plan éthique que technologique.

Notamment:

  • Le texte sur lequel les Suisses s’apprêtent à se prononcer dans le cadre de la votation du 13 juin 2021 ne mentionne pas tous les éléments qui font l’objet du vote. Le matériel de vote, en particulier, ne fait aucune mention du certificat COVID.
  • Plusieurs conflits d’échéances ont créé une situation nouvelle, où les citoyens ne disposent pas d’informations complètes avant le vote. Ces collisions de calendrier compliquent aussi le travail du Parlement et des commissions parlementaires.
  • Les mandats liés au certificat COVID ont été attribués en mode accéléré et de manière non transparente.
  • Alors que le certificat COVID présente clairement un potentiel de discrimination, puisqu’il restreindra certains accès à quelques catégories de personnes, le débat a été placé sous le signe du fait accompli. La réflexion approfondie qui aurait permis aux citoyens de se faire une opinion informée sur les enjeux liés à son introduction n’a pas été conduite.
  • Manifestement, le Parlement, l’administration et les médias ne se sont pas montrés à la hauteur du défi, si bien que la majeure partie de la population n’a pas la possibilité de comprendre ce qui se passe.
  • La plupart des chercheurs qui ont participé au webinaire organisé par The BMJ sur cette thématique ont souligné qu’une fois que l’infrastructure pour une technologie numérique de ce genre a été déployée, elle a tendance à rester en place. Et malheureusement, ses usages ultérieurs – y compris ses abus – ne peuvent pas être prévenus par des dispositifs techniques en amont.

Analyse et commentaire

Depuis que le Conseil fédéral a officiellement annoncé qu’un «certificat COVID» serait disponible fin juin pour l’ensemble de la population suisse, la future utilisation domestique de ce dispositif inédit a été présentée comme un prérequis pour un «retour à la normale» (1, 2). Grâce au certificat COVID qui permettra de «documenter une vaccination, une infection guérie ou un test négatif», ont expliqué les autorités, un «accès sélectif» pour les personnes vaccinées de plus de 16 ans, guéries ou récemment testées négatives devrait être mis en place durant la 2e phase dite «de stabilisation».

L’idée n’est pas nouvelle. Au printemps 2020 déjà, plusieurs pays avaient envisagé de lancer des «passeports» ou des «certificats» d’immunité qui garantiraient certains privilèges à leurs détenteurs, supposés ne plus être contagieux. Cette suggestion avait été accueillie avec beaucoup de scepticisme et le projet n’a finalement jamais été mis en œuvre.

L’avènement des vaccins COVID a changé la donne et conféré une nouvelle légitimité à l’instauration d’un tel dispositif. Depuis que les campagnes de vaccination ont démarré en décembre 2020, l’introduction d’un certificat, sous forme papier ou électronique, est de nouveau sur le tapis dans les pays industrialisés, assortie de promesses de normalité et de mobilité internationale retrouvées.

Risques éthiques et défis technologiques

En écho aux inquiétudes déjà exprimées au printemps 2020 sur les conséquences de certificats d’immunité, différents observateurs (3, 4, 5) ont souligné qu’adopter un certificat ou un passeport COVID reviendrait à «ouvrir la boîte de Pandore de la discrimination et de la stigmatisation». Car ce système exclurait les non-détenteurs du «sésame» de pans entiers de la vie en société: manifestations culturelles et sportives, voyages, offres de loisir, fréquentation de lieux de rencontre tels que restaurants, clubs, bars, etc.

A ces questions éthiques s’ajoutent celles des choix opérés en termes de technologie, de protection des données et de respect de la vie privée. L’association European Digital Rights (EDRi) a ainsi exprimé sa préoccupation quant à l’opacité entourant le développement de ces certificats dans l’UE.

En Suisse aussi, outre le risque de discriminations, plusieurs problèmes importants ont été pointés dès fin avril 2021: inversion de la présomption de non-dangerosité qui fonde notre vie en société, réactions impossibles à anticiper de la population et banalisation de l’usage d’une technologie de surveillance. Autant de questions qui, selon les commentateurs, ne devaient pas être tranchées par les seuls experts, mais appelaient un grand débat de société.

Les informations fournies le 19 mai 2021 par le Conseil fédéral sur les modalités d’utilisation prévues pour le certificat COVID en Suisse n’ont dissipé ni les inconnues ni les inquiétudes. Au contraire.

A cette occasion, le Conseil fédéral a défini un «domaine vert» (où l’utilisation du certificat sera «exclue»), un «domaine orange» (où l’utilisation sera «facultative ou pour éviter des fermetures») et un «domaine rouge» (où l’utilisation sera «requise pour permettre des assouplissements»). Ce cadre attribue donc les différents acteurs sociaux à l’un ou l’autre «domaine». De fait, il en habilite certains à assumer une fonction de contrôle – dont la légitimité pose pour le moins question. L’exécutif est en revanche resté évasif sur certains éléments-clés: entre autres l’objectif précis visé par l’introduction de ce certificat et la durée pour laquelle il resterait en vigueur.

Démocratie en mode pandémique

Parmi les grandes questions qui se posent, il y a celle de savoir si, dans la situation actuelle, ce certificat constitue une réponse adéquate et proportionnelle. Si les Suisses souhaitent l’implémentation d’un dispositif qui risque d’impacter la vie en société. S’ils jugent recevables les termes dans lesquels le problème leur est présenté: «Peut-on encore justifier d’imposer des restrictions aux personnes vaccinées?» Ou au contraire, s’ils estiment à l’instar d’Ulrike Guérot, professeure de politique européenne et d’études de la démocratie à l’Université du Danube à Krems (A), que cette idée de «rendre leurs droits» à certains et pas à d’autres reviendrait à briser un tabou démocratique: «A partir du moment où les citoyens ne sont plus égaux devant la loi, mais que les droits fondamentaux sont réservés à certains, nous ne sommes de facto plus en démocratie», affirme cette politologue, qui juge un tel scénario incompatible avec la notion même de droits fondamentaux, le propre de ces derniers étant précisément d’être inaliénables.

Face à de tels enjeux, la nécessité d’un débat et d’un maximum de transparence de la part des autorités est évidente. Mais force est de constater que cette importante discussion de fond n’a jamais vraiment émergé. Elle a été éclipsée par des questions de faisabilité technique, de délais d’implémentation et de compatibilité internationale, du type «Serons-nous prêts pour l’été?» ou «Où en est la Suisse en comparaison internationale?». Si bien que l’introduction du certificat COVID a été le plus souvent présentée dans une logique de fait accompli: en adoptant ce dispositif, la Suisse participerait simplement au même mouvement que d’autres pays.

Pourtant, le tableau international est loin d’être homogène. Israël vient de stopper l’usage de son «passeport vert». En Estonie, pays régulièrement cité en exemple pour son «avance dans le domaine du numérique», le gouvernement n’a pas prévu d’utilisation domestique du certificat COVID. En Suède non plus. En Grande-Bretagne, des sources ont indiqué que le gouvernement ne souhaitait pas aller dans cette direction. Aux Etats-Unis, ce genre de dispositif n’est envisagé que sous la forme d’un passeport international permettant aux Américains de voyager dans d’autres pays, mais son implémentation au niveau domestique a été exclue et plusieurs gouverneurs l’ont interdite.

Votation en mode pandémique

La votation sur la loi fédérale sur les bases légales des ordonnances du Conseil fédéral visant à surmonter l’épidémie de COVID-19 («loi COVID-19») du 13 juin 2021 aurait pu être l’occasion d’amorcer une réflexion. C’est en effet son texte qui prévoit, entre autres, l’introduction du fameux certificat (article 6a).

Art. 6a21 Certificat sanitaire

1 Le Conseil fédéral définit les exigences applicables au document prouvant que son titulaire a été vacciné contre le COVID-19, qu’il en est guéri ou qu’il dispose d’un résultat de test du dépistage du COVID-19.

2 Ce document doit être délivré sur demande.

3 Il doit être personnel, infalsifiable et, dans le respect de la protection des données, vérifiable; il doit être conçu de manière que seule une vérification décentralisée ou locale de son authenticité et de sa validité soit possible et qu’il puisse, dans la mesure du possible, être utilisé par son détenteur pour entrer dans d’autres pays et en sortir.

4 Le Conseil fédéral peut régler la prise en charge des coûts du document.

5 La Confédération peut mettre un système pour la délivrance du document à la disposition des cantons et de tiers.

21 Introduit par le ch. I de la LF du 19 mars 2021 (Cas de rigueur, assurance-chômage, accueil extra-familial pour enfants, acteurs culturels, manifestations), en vigueur du 20 mars 2021 au 31 déc. 2022 (RO 2021 153; FF 2021 285).

La question posée au souverain peut sembler claire. En réalité, elle ne l’est pas. Pour les citoyens, à mesure que la votation approche, le choix s’apparente de plus en plus à un casse-tête et la confusion va croissant.

Pour commencer, ni la brochure d’information qui accompagne le bulletin de vote, ni le texte soumis au vote ne mentionnent les amendements de la loi COVID-19 adoptés depuis le 25 septembre 2020 – dont l’article 6a.

La raison de ce procédé pour le moins inhabituel? «L’objet de la votation consiste formellement en la loi telle qu’elle a été votée dans sa version originale le 25 septembre 2020, peut-on lire sur le site Internet du Département fédéral de l’intérieur (DFI). Les modifications adoptées le 18 décembre 2020 et le 19 mars 2021 ont chacune été séparément sujettes au référendum. De fait, en cas de rejet de la loi, les modifications votées et mises immédiatement en vigueur par l’Assemblée fédérale après le 25 septembre 2020 seraient elles aussi caduques.»

En d’autres termes, un des objets sur lesquels les Suisses sont censés voter n’est spécifié ni dans la question qui leur est posée, ni dans le matériel d’information qu’ils ont reçu. Les représentants du comité référendaire estiment qu’en ne faisant pas figurer ces informations dans la brochure, «le Conseil fédéral induit la population en erreur en mettant à sa disposition des informations incomplètes». Une vision des choses que récusent le Conseil fédéral et la Chancellerie fédérale, en renvoyant notamment au site internet du Département fédéral de l’intérieur consacré à la loi COVID-19, où l’information complète est effectivement disponible.

On peut néanmoins arguer que les citoyens qui ne font pas de recherche sur Internet avant de voter et comptent sur la Chancellerie fédérale pour se faire remettre les informations nécessaires ne partageront peut-être pas cette interprétation.

Un calendrier impossible

Face à ces incohérences, 38 citoyens du canton de Schwyz ont déposé un recours auprès de leur gouvernement cantonal et du Tribunal fédéral, demandant la suspension de la votation. Des recours ont été également déposés dans le canton du Valais et dans le canton de Thurgovie. De toute évidence, même si ces recours devaient être acceptés, l’heure tourne car il ne reste plus que quelques jours avant la votation.

Entre-temps, un nouveau référendum «contre la modification du 19 mars 2021» de la loi COVID-19 a été lancé. Pour qu’il aboutisse, 50 000 signatures réglementaires devront être recueillies d’ici au 8 juillet 2021. C’est-à-dire après la votation.

Cette collision de délais n’est pas la seule à compliquer le tableau. Le 19 mai 2021, lorsqu’il a présenté son système à trois couleurs, le Conseil fédéral a également articulé certaines échéances: «Le cadre précis et les adaptations correspondantes des ordonnances seront mis en consultation le 11 juin 2021. La décision sera prise le 18 juin. Les premiers certificats seront délivrés par étapes à partir du 7 juin 2021 et à la disposition de toute la population au plus tard fin juin (…).»

De fait, les résultats de la consultation – un mécanisme central du système politique suisse – seront eux aussi connus seulement après la votation et les citoyens ne pourront pas en tenir compte dans leur processus de décision.

Par ailleurs, les discussions sur les domaines d’utilisation du certificat en Suisse se sont poursuivies au Parlement jusqu’à quelques jours avant la votation. Quant au Conseil fédéral, il a annoncé qu’il rendrait sa décision à ce sujet à la «mi-juin», soit après la votation.

Toutes ces dates et autres collisions de calendrier créent la confusion. Avec de tels conflits d’échéances, les citoyens ne disposent pas d’informations complètes. Ils compliquent aussi beaucoup le travail du Parlement et des commissions parlementaires.

Administration en mode pandémique

Autre problème important: le manque de transparence dont les autorités ont fait preuve ces dernières semaines. Jusqu’à fin mai, soit moins de deux semaines avant la votation qui devrait doter son introduction d’une base légale, le développement du certificat COVID en Suisse s’est en effet déroulé dans une opacité presque complète. Le code source de l’application a été dévoilé le 31 mai, lorsqu’un test public de sécurité a été lancé. Mais on ignore quand l’exercice se terminera, car le Centre national pour la cybersécurité (NCSC) n’a pas arrêté de date. Une chose est néanmoins certaine: ses conclusions ne seront connues qu’après la votation.

De notre côté, nous avons commencé le 10 mai 2021 à poser des questions sur les contrats passés entre l’administration fédérale et les entreprises privées en charge des développements technologiques et de la communication en lien avec le certificat COVID. Il a fallu attendre le 31 mai pour que ces adjudications soient publiées sur la plateforme des marchés publics SIMAP. Quatre mandats ont été adjugés dans le cadre de procédures de gré à gré, autrement dit sans appel d’offres. Avant cette date, en dépit de nos sollicitations répétées, il nous a été impossible d’obtenir des informations. L’Office fédéral de la santé publique (OFSP) a eu besoin de presque un mois pour entrer en matière sur toutes nos questions après un détour par son service juridique. Quant à l’Office fédéral de l’informatique et de la télécommunication (OFIT), il a refusé de répondre à nos questions.

Depuis le début de la crise COVID, ce n’est pas la première fois que des choses se passent de cette manière, alors que le mandat concerné est lié à un projet sensible. En mai 2020, par exemple, la société Ubique avait obtenu le mandat de développer l’application de traçage SwissCovid pour un montant de 1,8 million de francs dans le cadre d’une procédure de ce genre. Et c’est elle aussi qui vient de se voir confier le mandat de développer l’application du certificat COVID pour 1,3 millions de francs. Deux autres mandats techniques à 1,6 millions de francs chacun ont été adjugés aux entreprises Health Info Net (HIN) et ti&m. Quant au mandat de communication («Services de relations publiques») devisé à un peu plus de 800 000 francs, il a été confié à l’entreprise zurichoise Creative Intelligence Society.

Une péripétie supplémentaire de dernière minute est intervenue le 9 juin, quatre jours avant la votation. Alors que, dans les médias, les annonces se succédaient dans la course au canton qui serait le plus rapide à délivrer les premiers certificats COVID, le public a appris que ces certificats étaient des certificats «full» destinés avant tout au voyage et que la Confédération planifiait en fait un certificat COVID «light» pour l’usage domestique. Cette version, censée être disponible dès le 12 juillet 2021, devrait contenir «moins de données» et afficher uniquement le nom du détenteur, sa date de naissance et si le certificat est valable ou non. Pourquoi le public n’a-t-il pas été informé d’emblée du fait que le certificat existerait en deux versions? Pourquoi les différences d’exigence en matière de données à divulguer du côté de l’UE n’ont-elles pas été thématisée dès le départ?

De manière générale, la communication de l’administration fédérale et des autorités n’est pas à la hauteur de ce que la population pourrait légitimement attendre par rapport à un dispositif impliquant des données sensibles qui, s’il est introduit, aura un impact majeur sur son quotidien.

Intérêt public et transparence

Rappelons que même en situation particulière au sens de la loi sur les épidémies dans laquelle la Suisse se trouve actuellement, «les mesures adoptées doivent être justifiées par un intérêt public prépondérant, respecter les principes de proportionnalité (art. 5 al. 2 Cst.), de bonne foi (art. 5 al. 3 Cst.) et d’égalité de traitement (art. 8 Cst.), être conformes à la Constitution et à la loi et respecter les droits fondamentaux», comme le rappelait Frédéric Bernard, professeur de droit public à l’Université de Genève, dans son article «Lutte contre le nouveau coronavirus et respect des droits fondamentaux» paru en mars 2020 dans la revue Sécurité & Droit.

Le certificat COVID (en version «full» ou «light») est précisément une mesure qui ne satisfait pas de manière univoque à ces principes. D’aucuns estimeront même qu’il les viole. Pour pouvoir prendre la mesure des enjeux et opérer une pesée d’intérêts, il faudrait disposer d’informations correctes, intelligibles et solidement étayées. Malheureusement, celles-ci font toujours défaut à tous les niveaux dans la communication officielle: tant sur le poids réel de l’épidémie (6 sous «Décès liés au COVID-19», 7, 8, 9) et l’impact des mesures déjà en place (10, 11) que sur le degré de protection individuel et collectif que l’on peut attendre de la vaccination (12, 13, 14).

Entre rétention d’information et annonces qui mettent la population devant le fait accompli, la politique de communication des autorités et de l’administration fédérale apparaît d’autant plus inadéquate si l’on considère le récent débâcle de la plateforme mesvaccins.ch et les controverses liées à l’app SwissCovid. Mais aussi certains problèmes récemment mis en évidence dans le cas de l’équivalent français du certificat COVID, ainsi que dans celui du «passeport vert» de l’UE avec laquelle le certificat suisse doit être compatible.

Un dispositif inédit qui change la donne et coupe la société en deux

Quant à la question de savoir combien de temps le certificat COVID sera maintenu, elle est cruciale, mais pas clarifiée non plus. Pour l’app SwissCovid, la réponse de l’OFSP était et reste cryptique: «L’application SwissCovid a été développée dans le seul but d’endiguer le coronavirus. Elle sera mise hors service dès qu’elle ne sera plus utile.» En juin 2021, SwissCovid est toujours là et personne ne sait précisément quels critères doivent être remplis pour qu’elle soit considérée comme n’étant «plus utile».

Le caractère temporaire du certificat COVID pourrait bien finir par relever du vœu pieux. Le 19 mai 2021, Johan Rochel, membre associé du Centre d’éthique de l’Université de Zürich et auteur au think tank foraus, soulignait: «Il faut à tout prix éviter que ce certificat ne devienne une partie de notre vie quotidienne.» Moins d’un mois plus tard, sa mise en garde ne semble plus guère à l’ordre du jour si l’on considère les velléités de pérenniser l’usage de ce certificat qui se manifestent déjà. Le groupe parlementaire PLR a ainsi communiqué sont intention de déposer une motion réclamant que l’utilisation de l’infrastructure pour le certificat COVID ne soit pas limitée à quelques mois, mais devienne permanente, dans une perspective de numérisation des données vaccinales et d’une «exploitation durable» des investissements consentis par les pouvoirs publics. Cela signifierait que le certificat serait étendu à toutes les vaccinations: il remplacerait notamment la plateforme mesvaccins.ch qui s’est avérée défaillante et serait compatible avec le futur dossier électronique du patient.

Ce scénario correspond précisément à la crainte exprimée par la majorité des chercheurs qui ont participé le 10 juin 2021 au webinaire organisé par la revue médicale The BMJ: une fois que l’infrastructure pour une technologie numérique de ce genre a été déployée, elle a tendance à rester en place. Et malheureusement, ses usages ultérieurs – y compris ses abus – ne peuvent pas être prévenus par des dispositifs techniques en amont.

Par ailleurs, les conséquences de l’absence de débat apparaissent déjà. Comme le fait qu’un média de service public comme SRF puisse livrer une analyse intitulée «La fin du coronavirus est le début des inégalités», où un correspondant parlementaire prend acte des inégalités qu’entraînera le certificat COVID comme on prendrait acte des retombées inéluctable d’un phénomène naturel incontrôlable: «Si les inquiétudes liées au coronavirus s’estompent progressivement pour ceux qui ont été vaccinés, les autres doivent désormais s’habituer à des tests hebdomadaires – que ce soit au travail, à la maison ou chez le médecin. Lorsque le certificat COVID sera introduit (…), les tests se multiplieront pour eux: pour entrer à un concert ou à un match de foot, il faudra effectuer un nouveau test – alors que les personnes vaccinées ou guéries disposeront d’un certificat COVID valable au moins six mois. En attendant que les restrictions soient levées pour tous, les vaccinosceptiques devront s’accrocher. En attendant que l’ère du coronavirus soit définitivement derrière nous, il reste encore une ou deux inégalités à subir.»

Zone grise entre choix et chantage

A l’heure actuelle, de nombreuses personnes se vaccinent non parce qu’elles redoutent de tomber malades ou parce qu’elles se sentent investies d’une mission de solidarité pour laquelle les preuves font toujours défaut, mais parce qu’elles estiment qu’elles n’ont pas le choix si elles veulent pouvoir «revivre normalement». Lorsqu’il a été interrogé le 26 mai 2021 par Le Quotidien Jurassien sur les raisons de sa démission de ses fonctions de Chef du Service cantonal de la santé publique, Nicolas Petrémand, «Monsieur COVID» du canton du Jura, a pointé les raccourcis et les malentendus que le discours actuel induit: «Il n’y a plus aucun vrai raisonnement. On donne l’impression aux gens qu’il faut se faire vacciner pour aller en discothèque ou pour pouvoir voyager librement, ou en tout cas que ce sera moins onéreux. Cela devient incohérent et surtout sans fondement scientifique. La population est intelligente et se réveillera un jour ou l’autre, mais avec quelles conséquences?»

Ce tour d’horizon montre qu’à la veille de la votation sur la loi COVID-19, les citoyens doivent toujours composer avec des informations lacunaires, des délais ingérables, des annonces de dernière minute et une liberté de choix toute relative. Plus d’un an d’incertitudes et d’incessants changements de régime ont rendu impossible toute planification du futur proche. De fait, la soif de normalité et le désir de nombreux citoyens de se concentrer sur l’organisation des mois à venir sont compréhensibles et légitimes. Mais se focaliser uniquement sur ces questions contribue à entériner l’impression que seuls les détails pratiques restent à régler et que l’horizon temporel se limite aux départs en vacances d’été.

La confusion et les effets d’annonce qui ont dominé ces dernières semaines ont simplifié la discussion à l’extrême. La situation n’est pas sans rappeler le scénario contre lequel mettait en garde l’étude sur les passeports vaccinaux Checkpoints for vaccine passports, publiée le 10 mai 2021 par l’Institut Ada Lovelace: de «faux choix qui empêchent la compréhension (par exemple, ‘sauver des vies vs protéger la vie privée’)» et «un discours persuasif et simpliste selon lequel ces outils peuvent aider les sociétés à s’ouvrir plus rapidement et en toute sécurité».

Actuellement, force est de constater que les informations dont les Suisses disposent ne satisfont à aucune des six exigences qui, selon les auteurs de ces travaux, devraient être respectés par les gouvernements et les entreprises impliquées dans le développement de tels dispositifs pour que l’on puisse éventuellement escompter un bénéfice pour la société:

  1. Confiance étayée scientifiquement quant à l’impact sur la santé publique;
  2. Objectif clair, spécifique et délimité;
  3. Prise en compte de l’éthique et orientation juridique claire sur les utilisations autorisées et restreintes, sur les mécanismes de soutien des droits, de recours et de lutte contre l’utilisation illégale;
  4. Design de système sociotechnique, y compris pour l’infrastructure opérationnelle;
  5. Légitimité publique;
  6. Protection contre les risques futurs et stratégies d’atténuation des dommages globaux.

Les Suisses sont sur le point de décider s’ils estiment, comme les auteurs du référendum, qu’il faut «déchirer le chèque en blanc» que, selon eux, la loi COVID-19 donne au Conseil fédéral en lui permettant de continuer à exercer un pouvoir qu’il n’aurait pas en temps normal. Ou au contraire, s’ils adhèrent au point de vue de la majorité au Parlement, qui considère que le Conseil fédéral doit continuer à conserver la même «marge de manœuvre» – jusqu’en décembre 2031 s’il le faut, étant donné que la validité de la loi COVID-19 court jusqu’à cette date pour certains articles.